La rencontre entre Slavko Kopac et Jean Dubuffet relève certainement d'un coup de foudre amical. Alors que l'artiste croate s'installe définitivement à Paris en août 1948, à l'âge de 35 ans, il noue avec son aîné une relation de confiance immédiate. La même année, Jean Dubuffet fonde avec différentes personnalités — dont André Breton et Jean Paulhan – la Compagnie de l'art brut, et l'invite à faire partie de l'aventure. Slavko Kopac sera le premier conservateur et archiviste de la collection, alors logée dans un pavillon prêté par Gallimard, rue de l'Université. Témoin des disputes qui éloignent Breton et Dubuffet, Slavko Kopac fait subsister le lien entre surréalisme et art brut en collaborant avec l'un et continuant de correspondre avec l'autre. Offerte par Dubuffet à Slavko Kopoc en 1949, « Petit paysage avec personnages » est une œuvre témoignant de leur profonde amitié. En haut du panneau, la dédicace ne trompe pas : c'est à son égal en peinture que Dubuffet s'adresse. Les deux amis partagent à cette période une même recherche picturale et une même obsession de la matière. Ils travaillent avec de la poussière, du plâtre, du sable, qu'ils mêlent en une pâte ensuite appliquée à la truelle et grattée avec différents outils, de la cuillère au couteau, en passant par les doigts.
Après la seconde Guerre Mondiale, Jean Dubuffet invente le terme de « l'art brut », pour désigner un art exempt de toute influence artistique, intellectuelle ou culturelle. En s'intéressant à l'art des marginaux, des enfants et des malades dont il devient collectionneur, il lutte contre l'élitisme artistique et intellectuel. Lui-même auteur d'une œuvre déroutante et inclassable, il souhaite avant tout que « l'art s'adresse à l'esprit et non au yeux ». En empruntant à l'anthropologie, au folklore ou au domaine de la psychiatrie, il crée des œuvres hors des conventions classiques et issues de matériaux inhabituels pour l'époque. « Petit paysage avec personnages » fait partie de la rare série des « Paysages grotesques » peint par Dubuffet en 1949. Représentant quatre personnages dans un paysage aride, cette œuvre fut exécutée peu après son retour et dernier voyage au Sahara en s'inscrivant dans le cycle révolutionnaire de peintures inspirées de son séjour dans le désert algérien. Loin de l'urbanisation et de la tradition occidentale, les sables blancs d'Afrique et leurs habitants nomades ont profondément marqué la pratique de Dubuffet. Son intérêt naissant pour les langages visuels indigènes fut amplifié par la découverte des rituels tribaux du peuple bédouin. Incrustées dans la surface du tableau comme des empreintes de pas dans le sable, ses figures sont devenues de puissants symboles de la sagesse élémentaire : chargées du mystère primordial des vestiges préhistoriques, leurs formes en sont venues à incarner la relation primordiale entre l'homme et la nature. Dans la présente œuvre, Dubuffet a sublimé cette notion en appliquant une couche d'empâtement de couleur claire sur un fond sombre, créant des strates géologiques à partir desquelles ses personnages pourraient être exhumés. Les personnages gesticulants se sont transformés en d'étranges créatures imprégnées d'une naïveté et d'une innocence enfantine. Presque indiscernables de leur environnement, ses quatre protagonistes témoignent de l'union entre figure et paysage – entre les topographies de chair et de terre – qui allait conduire le développement de sa pratique. « Tout est paysage », soutenait Dubuffet et au travers des « Paysages grotesques », c'est autant celui des grottes préhistoriques avec leurs dessins tracés au charbon que celui de nos murs, taggué en pleine rue, que l'on observe d'un autre œil. Il s'agit pour lui en voyageant et en établissant des relations hors du monde de l'art, de se déconditionner d'une culture occidentale, d'une tradition artistique qu'il juge étouffante.